Réarmer ? Régénérer ? Pour que «la France reste la France» ? Derrière les mots du gouvernement actuel, il y a hélas une logique. On exalte la «communauté» nationale pour mener une politique de classe, hostile à plus de 90 % de la population.
Ce «nouveau monde» situé quelque part entre Thatcher et, désormais, le natalisme des années 20, a un rapport trouble au langage. On a, depuis longtemps, cessé d’écouter, en se disant que ces gens racontent n’importe quoi. Parler, en 2017, de «révolution» quand on s’apprête à mener une politique conservatrice, voire ouvertement réactionnaire (la réaction est le contraire de la révolution), quand on abolit l’ISF tout en baissant les APL ; récidiver, en parlant de «soldats de l’an II» quand on ne se cache même plus d’être de droite, quand on fait alliance avec le Rassemblement national (RN) - c’est dès le soir du second tour des législatives de 2022 qu’Eric Dupond-Moretti avait appelé à travailler ensemble avec les lepénistes, qui ont obtenu, grâce aux macronistes, des vice-présidences à l’Assemblée nationale - ; quand on soutient Gérard Depardieu contre ses victimes ; prétendre être «le camp de la raison» quand on utilise du gaze lacrymogène contre des scientifiques à Saïx (Tarn), quand on ne change pas ce qui ne marche pas (une politique fiscale pour les très riches qui ne produit aucun «ruissellement», par exemple) ; parler de «valeur travail», d’effort et de mérite quand on est millionnaire de naissance (Amélie Oudéa-Castéra) et que l’on n’a jamais sérieusement travaillé de sa vie, c’est effectivement n’importe quoi.
Ces gens ne peuvent pas dire honnêtement ce qu’ils sont et ce qu’ils font, car ils mènent une politique de classe, hostile à plus de 90 % de la population. La nouvelle ministre de l’Education nationale est un cas intéressant : elle a fait un choix de classe et de caste pour ses enfants, en les scolarisant dans un ghetto caricatural de la sécession des riches, par ailleurs ouvertement d’extrême droite.
Comme elle «n’assume» pas (c’est rare), elle ment. Avec une lâcheté exemplaire, elle diffame une enseignante et son école et crache ainsi sur tous les professeurs de ce pays, avant de couvrir un établissement en infraction caractérisée avec la loi et en rupture de contrat avec l’Etat (un établissement musulman à qui on reprocherait les délits de «Stan» ne serait-il pas fermé sans délai pour «communautarisme», «sécessionnisme» et «fanatisme religieux» ?).
Uniformes, redoublements et brevet couperet
Madame Oudéa-Castéra n’est que le symptôme d’une pathologie plus inquiétante. Ces gens ne font pas que mentir («la com»), ils manient des signifiants vides : l’école a des problèmes ? on va rétablir l’autorité (ils n’en ont aucune). Donc : uniformes, redoublements, brevet couperet, bref, tout ce dont la littérature scientifique montre que c’est inefficace (mais le «cercle de la raison» n’a que faire de la science). On va taper et ça va filer droit, comme jadis ! Or «l’école-de-Jules-Ferry» (largement mythifiée) était liée à une promesse d’émancipation sociale que la politique de destruction systématique du droit du travail, de l’Etat-providence, des services publics, de la justice fiscale menée par ces forcenés est en train de balayer.
Ce ne sont pas des coups de menton pathétiques ou un service national universel en seconde (drapeau ! uniforme ! Marseillaise !) qui vont «réarmer» un signifiant ainsi évidé. Idem pour le «réarmement démographique» : l’OSS 117 élyséen, féru du décorum de «la France du général de Gaulle», mais avec les accents séniles de Pétain, ignore que l’on fait des enfants quand on a confiance en l’avenir, ce que l’accumulation des effondrements (scolaire, hospitalier, politique et climatique) auxquels sa politique contribue activement, entame sérieusement.
Derrière la «com», il y a hélas une logique. Celle des signifiants vides est caractéristique du fascisme : on exalte la «communauté» nationale, la «patrie», les «forces vives» et les Allemands, Italiens, Français moyens pour masquer une politique de classe grossière, qui conforte les élites (banque, industrie, églises…) traditionnelles. Au-delà du n’importe quoi («mon quinquennat sera écologique ou ne sera pas», «nos vies valent mieux que leurs profits», etc.), il y a, en effet, une petite musique (ou une grosse caisse) inquiétante. Réarmer ? Régénérer ? Combattre le «grand effacement» (clin d’oeil évident au «grand remplacement») ? pour que «la France reste la France» ? Cela devient criant, cette pente vers l’extrême droite avec, bonus, un autre signifiant vide : la France, c’est la liberté (de manifester sans être mutilé, de combattre la corruption grâce à l’association citoyenne Anticor, que le gouvernement entrave…), l’égalité («ceux qui ne sont rien»…), la fraternité (qui commence par la mixité scolaire).
L’historien est partagé entre l’éclat de rire et l’épouvante, comme Léon Blum face à Déat et à Marquet qui éructaient «ordre, autorité, nation» en 1933 avant de finir collabos. Les appels du pied à l’extrême droite se font désormais avec des bottes de sept lieues. Le bruit des bottes : l’extrême centre, qui s’allie toujours à l’extrême droite (Italie, 1922, Allemagne, 1932), y trouve son intérêt et sa jouissance.
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